L’éducation populaire, morte?

Ça fait un peu dans le genre déprimé ce texte, mais c’est sûrement nécessaire pour remettre un peu les compteurs à zéro…

**/**

N’êtes-vous pas lassés de rabâcher à plus soif les mêmes incantations, totalement inopérantes, depuis tellement de temps qu’on finit par oublier pourquoi vous y tenez tant. N’avez-vous pas compris, du haut de tout votre savoir universitaire ou militant, que l’étendard de l’éducation populaire est piétiné dans les oubliettes de l’histoire, comme la démocratie, la science, le progrès, la raison, toutes valeurs disparues jetées avec l’eau du bain par le fric triomphant et dont l’usage immodéré nous a conduit là où nous sommes. Ou alors, pire peut-être, répétez-vous en boucle les mantras d’une religion inconnue qui s’enracine entre Condorcet et Pelloutier et dont le projet a toujours été de conscientiser un peuple à l’intelligence plus ou moins bien partagée ?

Je voudrais vous dire ce qui n’est plus un secret : cette société ne peut pas être changée. Elle n’est en rien un avatar, un détournement, une difformité. Elle est l’aboutissement du projet de la bourgeoisie murement et patiemment déroulé, qui consiste pour une minorité disposant de tous les capitaux (financiers, intellectuels, sociaux et culturels) d’asseoir sa domination sur le plus grand nombre possible avec son assentiment, pour se remplir les poches. Et c’est chose presque faite.

Je voudrais vous dire aussi un autre secret : le peuple sait, nous savons tous et cela ne change rien. Nous sommes tous capables de dérouler la liste de nos innombrables maux, nous comprenons comment ils nous gangrènent, mais nos corps font le gros dos, penchés sur les écrans qui nous enserrent dans leurs chimères électroniques.

Étant sans aucun doute idiot, je n’ai jamais compris ce que signifiait le terme tellement ésotérique de « praxéologie » — que mon correcteur orthographique électronique me propose de remplacer par phraséologie —, sinon comme l’écho d’un marxisme auquel plus personne ne croit depuis longtemps.

Je sais cependant, comme tout un chacun, la différence entre agir et ratiociner. Je sais que je suis dans le bain d’un mensonge que je contribue moi aussi à répandre, en utilisant des mots dont le sens a été retourné ou perdu, ou pire en omettant de dire quand je vois que les pratiques sont contraires aux discours, acrobatie dans laquelle sont passées maîtres les diverses organisations culturelles, associatives, syndicales et politiques. Et bon nombre d’intellectuels avec elles.

Les générations qui nous suivront auront à changer de société, à inventer non pas une autre manière « conscientisée » de vivre ensemble, mais à oublier toutes les lubies auxquelles nous avons donné la main, en toute candeur et qui nous ont disqualifiés pour imaginer donner des leçons pour savoir comment sortir du piège que nous sommes nous-mêmes devenus. Elles n’ont pas besoin de penseurs. Elles ont besoin de courage. De se retrousser les manches, comme des artisans, dans un compagnonnage où personne n’imaginera plus apprendre à quiconque ce qu’il doit faire ou penser, mais où chacun nourrira les autres de son intelligence et de sa vivacité.

Mes chers camarades, l’éducation populaire est morte. Personne n’en veut plus. Parce que l’éducation toute entière agonise entre les filières d’excellence qui produisent domination et pognon et le massacre des intelligences populaires par une école qui ne veut pas voir à quoi elle sert vraiment.

Mettons-nous en vacances, cahiers et conférences au feu et « les maitres » au milieu, comme le proposait la comptine de mon enfance, quand il y avait encore des coquelicots dans les champs de blé.

Taisons-nous. Ruminons cet échec que nous sommes, qui devrait nous conduire à la modestie et s’il nous reste encore un peu d’honneur, acceptons de regarder en face d’où nous venons.

Nous sommes, l’image même de ce qu’il ne faut plus croire.

Yves Guerre (3 juin 2018)

Je n’ai pas lu la réponse qui lui a été faite…elle me semble complètement à côté de la plaque..

Pour marque-pages : Permaliens.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *