Black Bloc….

Le journaliste est avec, dedans, et pas dans un studio à faire des commentaires, c’est ce qui présente l’intérêt de ce reportage…

(j’ai mis les photos de l’article à la fin)

Dans le Black bloc

Sophie, la cinquantaine, mangeait tranquillement un hamburger quand un pavé a soudain
lézardé la vitre du MacDonald’s. Plusieurs manifestants cagoulés, tout de noir vêtus,
éventrent les vitrines, y pénètrent, saccagent les lieux, jettent des cocktails Molotov sur les
comptoirs et dérobent des cookies. « On a tous dû se planquer au premier étage. Il faut
vraiment les stopper ces agitateurs de merde. Leur seul but, c’est juste de tout casser »,
explique Sophie, très remontée.
Les télévisions ont imprimé dans les esprits l’image de cette enseigne de fast food
dévastée, ce 1er-Mai, à l’occasion de la journée internationale des travailleurs. Deux
concessionnaires automobile furent incendiés, de même qu’un bulldozer. Après des
affrontements vigoureux avec les forces de l’ordre, ces mêmes militants se sont cherchés
avec les policiers dans les rues de Paris, jusque tard dans la soirée.
Un « collectif invisible »
Leur infiltration s’est faite dès 14 heures, place de la Bastille. Partout, le long du port, des
petits groupes de jeunes sortent de leurs sacs des k-ways noirs Décathlon, enfilent des
cagoules et s’arment de bâtons, masses ou marteau arrache-clous, apportés là sans peine,
en l’absence de fouilles policières.
Amis de lutte, issus de Paris, de banlieue, mais aussi de métropoles comme Nantes ou
Toulouse, ces groupuscules se faufilent et s’agglomèrent peu à peu tout à l’avant du
cortège, sur le pont d’Austerlitz. Ils y forment une masse de centaines de personnes, qui ne
cesse de grossir. Sur leurs têtes : masques à gaz, cagoules, foulards, casques, lunettes de
ski… Tous se ressemblent, tous sont égaux. Une technique de dissimulation autant qu’un
message politique. « Il n’y a pas d’individus, pas de porte-voix. On est un collectif invisible »,
lance un des étudiants qui participe à ce Black bloc. La plupart ont entre 15 et 30 ans, filles
et garçons. Beaucoup sont diplômés.

Sous une banderole « Grève générale », un vieux militant observe ce manège du coin de
l’oeil : « Ils vont jouer aux cow-boys et aux indiens… Mais à chaque fois, c’est nous, les
syndicalistes, qui prenons ».
Accoudé à la rambarde du pont, un autre manifestant est mitigé : « Ils se sont mis tout
devant en s’imposant un peu… On peut ne pas être d’accord avec eux. Mais bon, ça reste
avec une forme de contestation ». Avec leurs actions coup de poing, devenues fréquentes
depuis les mobilisations contre la loi Travail en 2016, les membres du Black bloc sont
accusés de leur voler la vedette, voire, de « pourrir » les cortèges avec leurs actions
spectaculaires.
« Quand tu entres dans le bloc, c’est un sentiment assez génial. Tu enfiles ton k-way, ton
foulard, et tu sais qu’autour de toi, ils sont tous là pour t’aider »
Qu’est-ce qui anime ce « cortège de tête », ce groupe éphémère, affinitaire, qui réunit des
militants de diverses chapelles — autonomes, anarchistes, antifascistes — et qui avait
promis un « enfer » au gouvernement ce 1er-mai ? Il y avait ce jour-là quelque 14 500
personnes (selon la préfecture) qui devançaient le cortège syndical. Parmi eux, 1.200 militants appartenaient au Black bloc. Une présence impressionnante, motivée par
l’évacuation de Notre-Dame-des-Landes et l’anniversaire de Mai 68. « À Paris, c’est la
première fois qu’ils étaient aussi nombreux », explique un policier.
« Risques de troubles à l’ordre public », « Premiers de cordée, premiers guillotinés » : les
banderoles se veulent volontiers provocatrices. « Il n’y a pas une seule identité, ni un seul
groupe, ni une seule nationalité. Mais quand tu entres dans le bloc, c’est un sentiment
assez génial. Tu enfiles ton k-way, ton foulard, et tu sais qu’autour de toi, ils sont tous là
pour t’aider. Tu as beau être entourée de gens que tu connais pas, il y a une forte
solidarité », explique Mathilde*, une jeune du Black bloc de Bretagne, mais qui manifeste
pacifiquement ce jour-là. Dans les rangs, on entend parler allemand, anglais, italien… Des
centaines étrangers ont répondu à un appel international lancé en avril à « converger » vers
Paris le 1er mai.
Mai 68 et Alizée
Puis, peu avant le départ, vaste mouvement de foule en arrière. « On recule pour mieux
foncer sur les keufs », plaisante l’un d’eux. Coup sur coup, trois grenades assourdissantes
sont lancées par le bloc, à destination des journalistes en quête d’images fortes. Ça part.
Sur le trottoir, une caméraman et son objectif sont aspergés à la bombe de peinture bleue.
L’hostilité envers la presse, surtout audiovisuelle, est manifeste. Par peur, disent-ils, d’être
identifiés ensuite sur les photos.
« Agir en primitif, prévoir en stratège »
La manifestation s’engage vers Place d’Italie. Abribus et feux de circulation sont
endommagés à coup de masse. Par endroits, le bitume est fissuré au marteau, de même
que les pavés, transformés en projectiles. Des tags, parfois imaginatifs, germent sur les
murs : « Agir en primitif, prévoir en stratège », « Rejouer 68 mais sans pattes d’eph ». Une
colonne de fumée noire s’élève de l’enseigne Renault tandis que les derniers militants
quittent l’enseigne de fast food vandalisée.
Dans l’entrée d’une brasserie, quatre ou cinq membres du Black bloc sortent des enceintes
Bluetooth et diffusent le tube « Moi, Lotita » d’Alizée en se trémoussant au milieu des jets
de gaz lacrymogène. « C’est pas ma faute à moi… » fait la chanson, conférant à la scène
un caractère surréaliste.
Postés plus loin sur le boulevard, des CRS, en nombre, catapultent des grenades
lacrymogène, puis chargent. Les affrontements se poursuivent sur cette même avenue.
Aux tirs de mortier et aux jets de pavés, les forces de l’ordre répliquent avec des gaz
lacrymogènes et deux canons à eau. A la peine, le Black bloc recule.

« On était pris dans un rouleau compresseur, on a dû reculer et on s’est pris le cortège
syndical qui avançait derrière », rembobine un peu plus tard Eric*, venu de Bretagne.
Aussitôt la manifestation prend un autre tournant. « La flicaille a gazé tout le monde, il n’y a
eu aucune pitié, on essayait d’évacuer les gens malades à cause des gaz. On était à ce
point compactés que les gens tombaient dans les pommes debout », assure de son côté
Dimitri*, casquette noire et cheveux blonds. Bientôt, le cortège se disloque. « On est passé
de 1200 à 300 en très peu de temps », dit Eric, qui juge que l’intervention policière a été
diablement efficace.
4/10
« Les gens tombaient dans les pommes debout »
Tout le monde n’est pas du même avis. « Les cordons de sécurité à Bastille auraient permis
d’interpeller ces personnes, dix par dix, sans danger, au lieu d’attendre qu’il y ait 1200
personnes équipées », souffle Alexandre Langois, policier encarté dans le syndicat VIGI
(ex-CGT Police), qui va jusqu’à se demander si ce chaos n’a pas été « voulu » par le
gouvernement.

Actions violentes contre le capitalisme et l’Etat
Lors de ce reflux, le défilé traditionnel prend un autre itinéraire, et le cortège de tête se
fissure. Il se disloque entre la gare d’Austerlitz, le Jardin des plantes — aussitôt fermé — et
le 11e arrondissement, de l’autre côté de la Seine. Beaucoup se débarrassent de leurs
habits noirs. « J’ai jeté mon manteau et ma cagoule au bon moment », nous dit Anthony*,
qu’on retrouve à la station de métro Jussieu, en t-shirt. « Maintenant on doit retrouver les
autres. Mais ils sont où ? Normalement, il doit y avoir un grand rassemblement dans le
quartier Latin », que le site libertaire Lundi Matin avait la veille « appel[é] à envahir (…) dès la
manifestation dissoute » en « mesure de rétorsion » face aux violences policières.
Dispatchés dans Paris, il leur est difficile de se coordonner. L’errance des groupes dure
environ deux heures. A Bastille, Clara sort son smartphone, et consulte le compte twitter
« Cortège de tête » qui appelle à converger vers la Quartier Latin.
C’est dans ce battement que Mathilde, nous renseigne sur leur mode d’action : « Pour moi,
le tag, la casse, c’est certes une expression plus violente que les autres, qui va dégénérer,
mais on ne vise que les banques, les grandes enseignes, ce qui représente le capitalisme
ou la violence d’Etat. Je ne cautionne pas qu’on étoile les vitrines des brasseries, par
exemple… », comme cela eut lieu sur le boulevard de l’hôpital. « Ce qui nous anime, ce sont
des colères. Colère de voir les sans-papiers refoulés, les flics blesser des amis, la
répression judiciaire… On ne se résume pas à la violence, il y a un message politique »,
énumère-t-elle.

Barricades rue d’Ulm
Après des échanges de textos et des tweets, quelque 200 militants se rejoignent place
Monge, dans le Quartier Latin. Il est alors 19 heures et la manifestation officielle est depuis
longtemps achevée. Seuls quelques uns, encore, ont le visage masqué. « On voulait y
poursuivre la manifestation en ‘scred’, sans alerter la police », explique l’un d’eux. Mais les
gendarmes mobiles, restés proches, ne tardent pas à charger. Les affrontements se
poursuivent dans les dédales du 5e arrondissement, un quartier touristique, sous les yeux
parfois effarés des clients des cafés. En descendant une ruelle, un étudiant traduit le
manque d’organisation de cette manifestation sauvage : « On reste dans le quartier, on fait
le tour de la place… C’est ça le plan ».
Arrivé rue d’Ulm, devant l’Ecole Normale supérieure, des barricades sont improvisées avec
du matériel de chantier, quelques uns escaladent des échafaudages, brisent à la masse
des gros bloc de calcaires, crient « Tout le monde déteste la police »… Dans une certaine
confusion. Ce manège circulaire se poursuit jusqu’au Panthéon. La nuit tombe et une
soixantaine de CRS se gare à côté du monument où est inhumé Jean Jaurès. « Faut qu’on y
aille, on va se faire coffrer », s’inquiète, à quelques dizaines de mètre de là, une jeune
Parisienne.
Une « violence aseptisée »
Il est 22 heures quand une trentaine de Nantais se regroupent face à un café du quartier
Latin. Eric, cheveux blonds en pétard, dresse un bilan de sa participation au bloc radical :
« On est venus ici parce qu’il y a trop de keufs à Nantes. A Paris, on a un espace de liberté
bien plus grand, du fait qu’on est beaucoup plus nombreux. On tagge plus facilement… Le
problème, c’est que le parcours était trop petit. Quand on s’est fait refouler devant le MacDo, on a eu l’intelligence collective de péter deux grilles au Jardin des Plantes pour
s’enfuir. Sinon, on ne respirait plus avec tout ce gaz. On n’est pas des teubés, la plupart
parmi nous sont doctorants. On sait comment fonctionne le dispositif policier. »
« En 1886, les manifestants jetaient des bombes à clous »
En fin de journée, Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, s’en est pris spécifiquement au
Black bloc, indiquant que « tout est mis en oeuvre pour faire cesser ces graves troubles à
l’ordre public et appréhender les auteurs de ces actes inqualifiables ». Mais pour Eric, « ces
manifestations, ce n’est rien comparé à 1886, où les manifestants jetaient des bombes à
clous. En 2018, on est dans un truc aseptisé. La notion de violence est exacerbée. Comme
si, péter un abribus ou un vitre, c’était violent… Quand on attaque une grande enseigne,
les keufs nous attaquent. Après, on entre dans un cycle de la violence ». Au total, 109
personnes ont terminé en garde à vue.
*Prénoms modifiés

http://explicite.info/articles/529-dans-le-black-bloc

Pour marque-pages : Permaliens.

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